Résultats de l'expérience

Partie 1 : Analyse des résultats

Introduction

Si les élections législatives sont aujourd'hui dans tous les esprits, il y a à peine un mois nous votions pour les élections européennes. Nous vous expliquions alors qu'à cause du seuil de 5% en-dessous duquel une liste n'obtient aucun député européen, 20% des votes exprimés n'avaient pas été utilisés en 2019, parce qu'ils s'étaient portés sur une des listes n'ayant pas atteint ce seuil. Cela représentait 4.4 millions de votants sans représentant au parlement. Une solution à ce problème serait de changer de mode de scrutin et de permettre aux votants d'indiquer des listes « de secours », afin que le vote soit transféré si la liste favorite n'obtient pas 5% des suffrages exprimés. Nous proposions deux versions de cette solution : une dans laquelle deux votes sont autorisés (dont un de secours), et une dans laquelle les votants peuvent également indiquer une troisième liste, une quatrième, etc. (en indiquant un classement de plusieurs listes). Nous vous proposions de participer à une expérience de vote en ligne dans laquelle vous pouviez tester ces deux modes de scrutin, et vous avez été plus de 3000 à participer à l'expérience (merci beaucoup !).

L'analyse complète de nos résultats sera divisée en trois articles. Dans ce premier article, nous allons analyser les résultats obtenus avec les méthodes proposées, et voir qu'elles permettent de résoudre partiellement le problème des votes perdus. Dans un second article (à venir), nous nous intéressons aux réponses au questionnaire et répondons aux nombreuses interrogations que vous avez laissées en commentaires : pourquoi ne pas simplement supprimer le seuil de 5% ? Pourquoi ne pas avoir testé d'autres méthodes de vote comme le jugement majoritaire ou le vote par approbation ? Comment pourrait se faire le dépouillement avec les méthodes que nous proposions ?

Enfin, nous analyserons dans un troisième article (à venir) les résultats de la même enquête, mais qui a été menée sur un échantillon représentatif de la population française. En effet, l'échantillon de participants à l'expérience ouverte à tous est loin d'être représentatif de la population française. Même si nous avons redressé les données, il reste des biais importants, nous vous encourageons donc à prendre ce qui est présenté dans cet article avec des pincettes, et à lire l'article à venir sur l'analyse de l'échantillon représentatif.

Part de vote perdus avec chaque méthode
warning L'échantillon de participants n'est pas représentatif de la population française, et bien que partiellement redressé, il comporte toujours des biais. Les résultats sont à prendre avec précaution.

À l'élection de 2024, 12% des votes ont été ainsi perdus (contre 20% en 2019), donc il y a a priori moins à gagner qu'en 2019 pour les méthodes que nous suggérons; cependant, elle permettent de réduire cette part de votes perdus à 8% dans le cas de la méthode du second choix et à 5% dans le cas de la méthode du classement. Nous observons également des changements importants de la distribution des sièges, principalement dus au fait qu'un grand nombre de participants choisit de classer en première position une autre liste que celle pour laquelle ils votent avec le mode de scrutin en place. Cela s'explique par le vote « utile » (donc stratégique), qui est probablement bien moins important avec les méthodes que nous proposons. Attention cependant : nous n'observons pas de changements si importants avec notre échantillon représentatif (qui sera analysé dans le 3ème article).

Distribution des sièges pour chaque méthode
warning L'échantillon de participants n'est pas représentatif de la population française, et bien que partiellement redressé, il comporte toujours des biais. Les résultats sont à prendre avec précaution.
Résultats réels
Méthode à deux choix
Méthode par classement

Malgré les biais, on observe tout de même des tendances intéressantes : en plus des résultats obtenus avec les méthodes proposées, on peut mesurer d'une certaine manière le vote utile, les transferts de voix entre les différentes listes et l'intérêt des participants pour les méthodes proposées. Avant de regarder les résultats, intéressons-nous rapidement au profil des participants à l'enquête.

Profil des participants

Pour obtenir le plus de participants possible, nous avons partagé notre expérience d'abord sur des mailing-lists, principalement académiques, en incitant les participants à partager l'enquête à leurs entourages afin d'obtenir des profils plus diversifiés. Une grande partie de nos 3000 participants provient également des réseaux sociaux, en particulier de Reddit et surtout de Twitter. Les réponses s'étalent du 31 mai au 26 juin, mais 90% d'entre elles ont été faites avant l'élection du 9 juin, et donc avant que les résultats ne soient connus. Le principal problème avec notre échantillon est son manque de représentativité. Si l'on regarde par exemple la distribution des âges, et qu'on le compare avec celle d'un échantillon représentatif, la différence est frappante : quasiment la moitié de nos participants a moins de 30 ans.

Distribution des âges des participants

Ce manque de représentativité est également flagrant si l'on regarde les intentions de vote des participants. Alors que le parti arrivé en tête à l'élection est le Rassemblement National avec plus de 31% des voix, il ne vient qu'en 6ème position dans notre échantillon, derrière le Parti Pirate, qui obtient plus de 5% d'intention de vote parmi nos participants. Seulement 4% des participants ne déclarent pas d'intention de vote et 68% disent avoir l'intention de voter pour une des 4 principales listes de gauche (PCF, PS, LFI, EELV).

Distribution des intentions de vote exprimées

Pour que nos résultats aient plus de sens, nous avons donc appliqué une pondération à chaque participant selon son intention de vote avant de calculer les résultats. Si l'intention de vote est sur-représentée dans l'échantillon (par exemple le Parti Pirate ou La France Insoumise), le poids du participant est réduit. En revanche, si l'intention de vote est sous-représentée (par exemple l'Alliance Rurale ou le Rassemblement National), le poids du participant est augmenté. Par exemple, chaque votant du Parti Pirate (5.4% de notre échantillon alors qu'il en faudrait 0.1%) est compté comme 0.02 votants tandis que chaque votant de l'Alliance Rurale (0.07% au lieu de 2.4%) est compté comme 34 votants. Il faut noter que cette pondération ne résout pas tous les biais. Par exemple, les partisans du Parti Pirate restent sur-représentés dans notre ensemble, puisqu'ils n'ont pas tous indiqué une intention de vote pour le Parti Pirate (potentiellement pour voter « utile »). Nous vous invitons donc encore une fois à prendre les résultats présentés ici avec précaution et à lire l'article à venir analysant les résultats de l'échantillon représentatif.

Rappel sur les résultats de l'élection

Rappelons rapidement les scores des principales listes (celles ayant obtenues plus de 5% des votes exprimés)et la distribution des sièges à l'élection européenne.

Distribution des voix
Distribution des sièges

Cette année, 12.08% des votes exprimés se sont portés sur des listes qui n'ont pas obtenu les 5% requis pour avoir des sièges, et par conséquent 12.08% des électeurs peuvent se sentir à juste titre non représentés. C'est moins qu'en 2019, mais cela aurait pu être bien pire : les listes Europe Écologie et Reconquête ont chacune obtenu 5.5% des votes exprimés, soit juste au-dessus de la barre des 5%. A 150 000 voix près, ces listes n'obtenaient aucun siège et l'on aurait pu voir de nouveau 20% d'électeurs sans représentant. Le cas de la liste Europe Écologie a d'ailleurs été beaucoup discuté sur les réseaux sociaux. Pierre Larrouturou, tête de la liste Changer L'Europe, a par exemple appeler à voter pour la liste Écologiste plutôt que pour la sienne pour éviter le risque de la voir sous les 5% de votes exprimés.

Le vote à deux choix

Regardons maintenant les résultats obtenus avec les méthodes que nous avons testées, en commençant par le vote à deux choix. Cette méthode permet aux votants de choisir deux listes : si la première liste n'obtient pas les 5%, alors leur vote est transféré à la seconde liste. Si celle-ci n'obtient pas non plus les 5%, le vote est perdu. La plupart des participants ont joué le jeu puisque 93% d'entre eux ont indiqué 2 choix, alors que cette méthode permet également de n'en laisser qu'un (ce que 5% des participants ont fait, le reste en ayant indiqué 0).

Le vote utile

Lorsque l'on ne peut voter que pour une seule liste, certains doivent décider s'ils veulent voter « utile » en choisissant une « grande » liste (qui est certaine de dépasser les 5%), ou bien voter pour leur liste favorite et perdre leur vote si elle n'atteint pas les 5%. Le vote à deux choix permet d'une certaine manière de faire les deux à la fois : on peut raisonnablement supposer que le premier choix correspond au vote « sincère » et le second au vote « utile ».

On peut alors comparer les résultats de l'élection officielle aux pourcentages de votes sincères (premiers choix) obtenus par chaque liste dans notre expérience, qui serait plus proches des scores obtenus si aucun des participants n'avait voté utile à l'élection. On observe naturellement que les « grandes » listes ont un score sincère moins élevé que leur score réel, tandis que les « petites » listes ont un score sincère plus élevé : les premières bénéficient du vote utile, qui pénalise les secondes.

Distribution des votes de premier choix
warning L'échantillon de participants n'est pas représentatif de la population française, et bien que partiellement redressé, il comporte toujours des biais. Les résultats sont à prendre avec précaution.

Plus généralement, on peut estimer le pourcentage des participants ayant voté utile : si un participant a l'intention de voter pour son premier choix, alors on suppose qu'il va voter sincèrement, s'il a l'intention de voter pour son second choix, il va probablement voter utile. Parmi les participants, on observe 23% de votes utiles (l'intention de vote est le second choix), contre 72% de votes sincères (l'intention de vote est le premier choix), et 5% de votes non interprétables. Attention, il y a tout de même un biais dû au fait que les participants à notre expérience sont des personnes intéressées par ce problème, et donc plus susceptible de voter utile : dans l'échantillon représentatif, nous observons seulement 7% de vote utile.

Enfin, si la figure ci-dessus nous montre quelles listes bénificient, ou au contraire pâtissent du vote utile, on peut également regarder plus en détail pour quels listes les électeurs ont l'intention de voter selon leur liste favorite (ou en tout cas leur liste de premier choix dans le vote à deux choix). La figure ci-dessous montre ces liens entre listes. On voit encore une fois que ce sont les grandes listes qui bénificient le plus du vote utile, mais surtout que les électeurs des « petites » listes de droite ou d'extrême-droite vont principalement voter « utile » pour une liste de droite ou d'extrême-droite, et il en va de même pour les listes de gauche.

Distribution du vote de premier choix selon l'intention de vote
warning L'échantillon de participants n'est pas représentatif de la population française, et bien que partiellement redressé, il comporte toujours des biais. Les résultats sont à prendre avec précaution.

Transferts de votes

Si l'on applique directement la méthode comme elle est décrite plus haut, cela revient à faire un premier tour où chacun vote sincèrement, et un second tour avec seulement les listes ayant reçu plus de 5%, à la différence que l'on fait les deux tours en une seule fois grâce au vote à deux choix. Mais il y a un problème : si l'on fait cela, certaines listes peuvent se retrouver sous la barre des 5% à cause de la réduction du vote utile. Dans notre cas, la liste écologiste, avec seulement 4.8% des votes sincères, n'obtiendra aucun siège puisqu'elle ne sera pas sélectionnée pour le second tour. C'est pour cela que l'on utilise en réalité une méthode un peu plus complexe pour le transfert de votes : on élimine les listes une par une, en commençant par celle ayant reçu le moins de vote de premier choix. On transfère alors les votes de la liste éliminée aux listes placées en second choix par ces participants. On répète ensuite l'opération en éliminant la liste, parmi celles qui n'ont pas encore été éliminées, qui obtient le plus faible score, et ainsi de suite jusqu'à ce que toutes les listes non éliminées aient plus de 5% des votes. Les graphiques ci-dessous montrent les différentes étapes de ces éliminations successives. Vous pouvez utiliser la barre de progression pour voir les différentes étapes. Pour des raisons des lisibilité, les éliminations des listes ayant reçu moins de 0.2% des votes exprimés ne sont pas affichées.

Éliminations succéssives des listes avec la méthode à deux choix
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En appliquant ce principe d'élimination succéssives, la liste Europe Écologie dépasse bien les 5%. De plus, on obtient cette fois 8% de votes perdus, contre 12% pour l'élection réelle. Il est à noter que cette valeur est tirée vers le haut étant donné que les électeurs votent sincèrement sur leur premier choix : si l'on applique directement les règles officielles de l'élections aux votes de premiers choix, on obtient presque 40% de votes pour des listes en-dessous de la barre des 5%, c'est à dire 40% de votes qui seraient perdus !

On peut aussi regarder plus en détail les transferts de voix entre les listes de premier choix et celles de second choix. La figure suivante montre les votes transférés depuis les listes sous les 5% vers les listes au-dessus des 5%. On observe que 6.8% des votes restent ignorés, soit parce que le participant n'a pas indiqué de second choix, soit parce que le second choix ne dépasse pas non plus les 5%. La différence avec les 8% de votes ignorés au total est due aux participants n'ayant indiqué aucun choix.

Transfert de votes des listes recevant moins de 5% vers les listes recevant plus de 5%
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Enfin, la figure ci-dessous présente la part des votes de chaque listes qualifiées obtenus en tant que premier choix, et la part de votes obtenus en tant que second choix, après transfert de voix depuis une liste éliminée. On constate notamment que les listes avec la moindre proportion de votes transférés sont les listes de Ensemble et de Reconquête, ce qui signifie qu'elles sont les second choix de moins de participants.

Distribution des scores avec la méthode à deux choix
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Résultats du vote

On obtient alors les distributions des voix et des sièges suivantes. On observe que ceux qui bénéficient le plus de la baisse du vote utile et des transferts de voix sont les listes qui n'arrivent pas en tête : le RN obtient 5 sièges de moins et Ensemble 1 siège de moins, tandis que les listes Reconquête, LR, Écologistes et LFI obtiennent plus de sièges.

Distribution des voix avec la méthode à deux choix
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Distribution des sièges avec la méthode à deux choix
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Le Vote par classement

La seconde méthode testée est le vote par classement. Le principe est exactement le même, mais en permettant aux votants de classer deux, trois, ou autant de listes qu'ils le souhaitent. Comme pour le vote à deux choix, on commence par calculer le score de chaque liste uniquement à partir des premiers choix, puis on élimine la liste avec le moins de votes, et on transfère les votes à la liste suivante dans chaque classement. Ainsi, le vote d'un électeur reviendra finalement à la première liste dans l'ordre de son classement à obtenir plus de 5%. Par exemple, si un électeur a classé dans l'ordre : (1) Parti Pirate, (2) Changer l'Europe, (3) Europe Écologie et (4) Réveiller l'Europe, son vote sera d'abord compté pour le Parti Pirate, puis pour Changer l'Europe lorsque la liste du Parti Pirate est éliminée, puis pour Europe Écologie lorsque la liste Changer l'Europe est éliminée. Comme la liste Europe Écologie obtient plus de 5%, le vote de cet électeur ne sera pas transféré à la liste Réveiller l'Europe.

La figure suivante montre la distribution du nombre de listes classées par participant. On observe que 75% d'entre eux ont classé 4 listes ou moins et 90% ont classé 6 listes ou moins. 3% des participants ont classé toutes les listes, ce qui n'est pourtant pas nécessaire avec ce mode de scrutin, donc bravo à eux.

Distribution du nombre de listes classées

Résultats du vote

On peut maintenant regarder les scores obtenus par les listes recevant plus de 5%, et il y a une grosse différence puisque grâce aux votes transférés, le Parti Pirate parvient à dépasser les 5% et à obtenir des sièges. Attention : cela est surtout dû aux biais de notre échantillon, l'expérience ayant été partagée par certains membres du Parti Pirate, ce qui augmente forcément leur importance dans nos résultats. On est loin d'observer le même résultat avec l'échantillon représentatif de la population.

Distribution des de voix avec la méthode par classement
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Distribution des sièges avec la méthode par classement
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Avec le vote par classement, seuls 5% des votes sont cette fois ignorés, contre 12% pour l'élection réelle. Et parmi les votes pris en compte, on utilise le premier choix de 71% des participants, le second choix de 18% des participants, le troisième choix de 7%, et un choix plus grand que le troisième pour les 4% restants. Ainsi, pour la grande majorité des participants, il suffit de classer seulement trois listes afin d'être pris en compte. On peut aussi regarder les résultats plus en détail en s'intéressant à quelle part du score de chaque liste est due aux votes de premier choix, de second choix, de troisième choix, etc. Comme pour le vote à deux choix, les listes Ensemble et Reconquête bénificient très peu de transferts de voix, et à l'inverse, les listes RN et LFI béneficient grandement de transferts de voix, même en temps que quatrième choix ou plus.

Distribution des scores avec la méthode par classement
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Transferts de votes

Comme pour le vote à deux choix, on peut regarder les différentes étapes d'éliminations succéssives pour mettre en évidence les transferts entre les listes. Vous pouvez voir les différentes étapes en déplacant le curseur de la barre de progression sur la figure ci-dessous (pour des raisons de lisibilité, seules les éliminations des listes ayant reçu plus de 0.25% des votes exprimés sont affichées). On voit clairement apparaître les transferts entre les listes similaires, comme par exemple entre les listes souverainistes (Les Patriotes, UPR et République Souveraine) ou entre les listes écologistes.

Éliminations succéssives des listes avec la méthode par classement
warning L'échantillon de participants n'est pas représentatif de la population française, et bien que partiellement redressé, il comporte toujours des biais. Les résultats sont à prendre avec précaution.

On peut aussi regarder entre quelles listes se font les transferts de voix. La figure ci-dessous présente les transferts entre la première liste du classement (si celle-ci est éliminée) et la deuxième liste du classement, ainsi qu'entre la deuxième liste du classement et la liste qui reçoit finalement le vote (qui est la première liste du classement parmi celles recevant plus de 5% des votes exprimés). Pour des questions de lisibilité, les transferts de voix entre les listes classées en troisième, quatrième, etc. position ne sont pas présentés ici.

Transferts de votes des listes recevant moins de 5% vers les listes recevant plus de 5%
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Réception des méthodes

Après avoir testé les deux méthodes, nous avons proposé aux participants de répondre à un questionnaire. Nous reviendrons sur l'essentiel du questionnaire dans le deuxième article (à venir). Cependant, dans cette première partie, nous voulons déjà parler de la réception des méthodes. En particulier, nous allons analyser les réponses à la question « après avoir fait l'expérience, quelle manière de voter vous semble la plus adaptée pour les élections européennes ? » pour laquelle trois choix étaient possibles : « le vote actuel », « le vote à deux choix », et « le vote par classement ».

Sans grande surprise, une majorité des participants (presque 90%) a sélectionné une des deux méthodes alternatives, et le reste (un peu plus de 10%) souhaite conserver la méthode actuelle. Cependant, si on tente de corriger les biais en pondérant les participants selon leurs intentions de vote, on monte à plus de 20% en faveur de la méthode actuelle, et la méthode du second choix passe en tête avec plus de 40%, souvent accompagnée d'un commentaire indiquant qu'il s'agit d'un bon compromis entre la méthode actuelle et la méthode par classement, trouvée trop complexe. Dans les prochains graphiques, on présentera seulement les résultats utilisant cette pondération.

Méthode favorite des participants
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Mais il y a un autre énorme biais (que l'on ne peut pas corriger, contrairement au précédent) : les volontaires pour participer à notre expérience sont a priori plus intéressés, et parfois concernés, par le problème des votes perdus, et plus enclins à accepter de changer de système. En plus de cela, l'expérience a beaucoup circulé dans les milieux académiques et sur les réseaux sociaux de personnes intéressées par les modes de scrutins. Si l'on regarde les réponses de notre échantillon représentatif, un peu plus de la moitié des participants souhaitent conserver le mode de scrutin actuel.

Même si notre échantillon n'est pas représentatif, il nous permet de tirer certaines conclusions sur les raisons qui poussent à vouloir changer de mode de scrutin : éviter le vote utile, le soutien aux petites listes, ou bien des critères socio-démographiques comme l'âge ou l'intention de vote. Nous avons vu plus haut que l'on peut séparer, à l'aide des votes de second choix, les participants en deux groupes : ceux qui votent sincèrement et ceux qui votent utile. On constate alors que les participants ayant voté utile sont beaucoup plus favorables à un changement de mode de scrutin.

Méthode favorite des participants
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Si l'on compare les participants ayant l'intention de voter pour une « grande » liste (c'est à dire une des 7 listes ayant dépassé les 5% à l'élection) et ceux ayant l'intention de voter pour une « petite » liste, on constate également que ces derniers sont plus enclin à vouloir changer de système. Il est à noter que les résultats évoqués dans les deux derniers paragraphes sont aussi présents dans l'échantillon représentatif.

Méthode favorite des participants
warning L'échantillon de participants n'est pas représentatif de la population française, et bien que partiellement redressé, il comporte toujours des biais. Les résultats sont à prendre avec précaution.

Si l'on regarde le choix selon l'âge et l'intention de vote, la différence est moins apparente. On observe une tendance légèrement conservative (c'est à-dire le souhait de garder le système actuel) chez les plus âgés (60 ans et plus), en particulier un rejet du vote par classement, qui demande peut-être trop d'efforts. Quant au lien avec les intentions de votes, il y a deux raisons qui peuvent influencer le choix et qui ont été étudiées dans la littérature académique : le conservatisme des partis de droite et le conservatisme des gagnants. Le premier est dû au fait que les électeurs de gauche sont généralement plus ouverts à ce genre de changement, et le second est dû au fait que les électeurs des listes arrivant en tête partent du principe qu'un nouveau mode de scrutin les désavantagerait puisqu'ils sont actuellement en tête. Dans notre échantillon non représentatif, le facteur gauche/droite semble être le plus important puisque seulement 9% des électeurs des 3 principales listes de gauche veulent conserver le système actuel contre 33% des électeurs des 3 principales listes de droite et d'extrême-droite.

Méthode favorite des participants
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A suivre...

Pour conclure, les résultats de cette analyse montrent que l'on peut diminuer le nombre de votes perdus en changeant le mode de scrutin. Cependant, l'élection de 2024 n'est pas le meilleur exemple pour montrer l'efficacité de ces méthodes puisque seulement 12% des votes étaient finalement ignorés, en partie du fait du vote utile.

Il est aussi important de souligner que les méthodes de vote proposées n'ont pas comme seul avantage de partiellement résoudre le problème des votes perdus : elles permettent de manière générale une plus grande représentativité, et surtout une plus grande expressivité donnée aux votants. Malgré cela, de nombreuses questions se posent encore : comment dépouiller avec un mode de scrutin comme celui-ci ? Pourquoi ne pas utiliser plutôt le jugement majoritaire ? Nous revenons sur ces questions et sur les réponses au questionnaire de manière générale dans un deuxième article d'analyse des résultats à paraître bientôt. Enfin, un troisième article présentera les résultats de l'enquête sur un échantillon représentatif de la population française.

Les données collectées lors de cette expérience seront anonymisées et mises en ligne sous peu sur Zenodo.

Théo Delemazure (en collaboration avec Dominik Peters, Rupert Freeman, Jérôme Lang, et Jean-François Laslier. Merci à Ariane Ravier pour la relecture ).

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